Dédié à tous les prisonniers de guerre
Un roman-témoignage : Oui, mais quel intérêt ?
Quand on parle de nos grands-parents, surtout ceux qui vivaient dans les campagnes, c’est souvent pour dire que leur vie était rude, en tout cas bien plus difficile que ne l'est la nôtre aujourd'hui. Et, en un sens, ce n’est pas faux. Mieux valait ne pas être trop paresseux à l’époque : pas de machine à laver , très peu de voitures , pas d'Allocations familiales , pas de vacances et, avant 1920, dans le monde rural, même pas d'électricité pour faire tourner les machines.
J’arrête tout de suite, la liste serait trop longue. Comment les générations actuelles pourraient-elles seulement imaginer vivre et être heureuses dans un monde sans Internet, sans ordinateur ou télévision , sans téléphone , sans salle de bain , et avec un cheval la plupart du temps, comme unique moyen de transport ? Et pourtant… Dans la première partie du livre, mon père évoque des souvenirs d’enfance qui donnent à réfléchir sur le monde actuel et sur ses nouvelles valeurs. Il casse un certain mythe qui part du postulat que les gens de la Terre étaient des bêtes de somme peu instruites, des rustauds dont la vie ne présentait pas vraiment grand intérêt. Non, la génération de mon père, né en 1913 à la campagne, n'était pas forcément en proie aux souffrances et à l'illettrisme. Sans nier pour autant le pénible labeur des paysans, mais en suivant son parcours de vie de son point de vue, on sera donc parfois surpris de constater que sans les technologies actuelles et sans être bien riche, on pouvait - si on avait néanmoins la chance d’être aimé - avoir une vie agréable et tout-à-fait intéressante. Si ce n'étaient les guerres qui ont ponctué cette période, on pourrait même, à certains égards, être nostalgique de ce temps, pas si lointain, où il était si simple de trouver un travail, où l’on ne parlait pas d’une Terre en danger, où la vie tournait, certes essentiellement autour du microcosme local, mais où nul n’ignorait son voisin. Une vie où nous n'étions pas sans cesse bombardés d’informations négatives venant des quatre coins de la planète…
Bien sûr, tout était loin d’être idyllique, car les guerres mondiales successives ont apporté tous les malheurs que l’on sait. L'histoire entre 1939 et 1945, on la connait. Pour faire court, après plusieurs mois où il ne se passe quasiment rien, une guerre éclair laisse une armée française défaite et en déroute, le tout aboutissant à la capitulation de la France, validée par la signature de l’armistice le 22 juin 1940.
C’est ensuite la France de Pétain et celle de De Gaulle qui s’oppose, les camps de la mort, la résistance et enfin le débarquement suivi de la libération et de la débâcle allemande. Tous ces sujets ont et sont toujours largement relayés par les médias au travers d’émissions de TV et d'une littérature abondante en la matière.
Ce que l’histoire oublie souvent d’évoquer, en revanche, c’est le sort des soldats, abandonnés aux mains des Allemands après la débâcle. Pourtant, rien que dans notre pays, ils ont été près de 1 800 000. Autant dire que c’est loin d’être quantité négligeable. Entendez- moi bien : je ne dis pas que personne n’en a jamais parlé. Bien sûr, on trouve des livres sur le sujet, écrit par d'ex Prisonniers de guerre eux-mêmes dans les années qui ont suivies la guerre, mais ce sont des récits qui émanent le plus souvent d'officiers, d'intellectuels ou de professionnels de l'écriture. Il existe également des écrits plus généralistes qui, s'appuyant sur des témoignages, proposent une synthèse ou une analyse sur les conséquences liées au vécu des prisonniers avant, pendant et après la guerre, mais de l’avis de Laurent Quinton, il s’agit d’une « littérature qui ne passe pas ». Elle est donc assez peu abondante.
Ce qui fait la singularité de ce livre par rapport à tous les livres-témoignage écrits par les soldats ex-prisonniers de guerre, c'est justement qu'il ne s'agit pas d'un simple récit de guerre ou de captivité. Il se présente sous la forme de roman et c'est le fruit d'un travail de recoupements entre des souvenirs que mon père a couchés sur le papier environ 60 ans après les faits et des récits oraux. De plus, ils émanent d'un simple soldat peu rompu au travail de l'écriture. Son regard n'est donc pas complétement identique à celui d'un gradé ou d'un intellectuel (même s'il s'en rapproche sur le fond) : c'est celui d'un homme du peuple lambda, fils de paysan qui, partant de constats clairs et simples aboutit à certaines conclusions somme toute assez logiques et ne craint pas d'égratigner les Institutions de l'époque. Ceux qui pensent que les hommes de pouvoir "d'avant" étaient meilleurs que ceux qui nous représentent aujourd'hui auront de quoi réviser leur jugement.
Je dirais que le regard que Jean porte sur son époque a finalement quelque chose de très actuel.
Avant de vivre à travers les yeux de cet homme ce que furent le cauchemar de la Bataille de France puis celui de la déportation dans un camp de travail en Allemagne, on est déjà bien familier de la personne qu'il était ; on connait ses forces, ses faiblesses, ses opinions politiques. Et même si on n'adhère pas forcément à ses idées, on comprend ce qui a conduit à son aversion de l'armée. On a une conscience très nette de ce à quoi il a été contraint de renoncer en partant à la guerre. Bien sûr, je ne sous-entends aucunement que les divers et multiples récits de Prisonniers de guerre. seraient moins intéressants que le sien. Bien au contraire, ceux que j'ai lus sont magnifiques et bouleversants ; ils sont même fondamentaux pour qui veut comprendre ce que représente une si longue captivité assortie de violences, et les séquelles psychologiques qui en résultent. Par ailleurs, ils corroborent en grande partie les éléments avancés par Jean et permettent pour ceux qui en ont connaissance de mieux comprendre son positionnement. Néanmoins, chaque histoire est singulière et la façon dont le sujet est traité à travers "Des champs d'or et de plomb" permet d'aborder la captivité des prisonniers de guerre sous un angle un peu différent du témoignage "ordinaire". En outre, l'attitude de Jean face aux événements qui se présenteront à lui ne manquera pas de vous questionner. Jean a-t-il été lâche, collaborateur, égoïste ou, au contraire, s’est-il comporté de façon digne et humaine ? Comment auriez-vous agi à sa place ?
Vous trouverez mon avis en préface, mais le lecteur, quant à lui, se fera sa propre opinion. Et peut-être décidera-t-il qu'au fond il est difficile voire impossible de porter un jugement sur ces hommes qui n’avaient d’autre choix que d’aller risquer leur vie dans un combat perdu d’avance; ces hommes qui se sont vus privés de leur vie civile plus de cinq années durant...
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