Dédié à tous les prisonniers de guerre
Les dernières années de sa vie
Ils habitent une maison à Amilly quand ma mère débute la maladie d’Alzheimer et commence à se comporter dangereusement pour le couple.
A Amilly (45)
Jean est déjà vieux et ses problèmes cardiaques ne s’arrangent pas. Il fait une grosse pneumopathie qui l’entraîne plusieurs semaines à l’hôpital. Nous devons nous occuper de maman qui est ingérable. Michel leur propose de le rejoindre à Figeac où deux places se sont libérées à la Résidence Bataillé. Il est médecin coordinateur de cet EHPAD et pourra veiller sur eux. Ainsi fût fait.
Chez Michel à l'Escudeyrie (Planioles dans le Lot)
Mon père est admirable avec sa femme. Il vit très mal sa maladie, mais il assure. Malgré de grosses difficultés de santé, une mobilité réduite et une surdité invalidante, il passe le plus clair de son temps à s’occuper d’elle. Son dévouement émeut tous ceux qui le côtoient. Chaque jour, il lui offre douceur et protection alors même que Jeannette se montre souvent agressive et imprévisible. Il vit très difficilement sa perte totale de mémoire. Tous les jours, inlassablement, il tente de la sortir des griffes de la maladie en évoquant leurs souvenirs communs. Quoiqu’il en soit, son amour pour elle ne connait aucune faille. Son extrême patience et son dévouement sans borne aurait pu tirer des larmes à un bloc de pierre. Prendre soin d’elle devient la seule chose qui fasse encore sens dans sa vie car, comme il le disait souvent : « À mon âge et dans mon état, je n’ai plus rien à attendre de la vie ».
A l'Ehpad
Plus tard, et après qu’elle ait fait plusieurs fugues, il est décidé que ma mère soit transférée dans une structure spécialisée. Mon père lui rendra visite aussi souvent que son état le lui permettra, attendant et espérant qu’elle « parte » avant lui. Malheureusement son souhait ne sera pas exaucé et c’est lui qui décédera le premier. Les derniers mois de sa vie sont difficiles. Il est en grande perte d’autonomie, très sourd et malvoyant. Il ne quitte presque plus son lit et ses pertes d’équilibre ont déjà provoqué plusieurs chutes, dont une sévère lui valut quelques jours d’hôpital. Ce sont d’ailleurs ces diverses chutes qui précipitent sa fin de vie. Dans la nuit du 16 décembre 2016 à l’âge de 103 ans et 4.mois, Jean Caille rend son dernier souffle.
Voici un extrait tiré de ses carnets journaliers qui en dit long, tant sur l'amour que Jean portait à sa femme atteinte d'Alzheimer, que sur la difficulté qu'il éprouvait à accepter sa maladie et le courage qu'il lui fallait pour l'affronter, dans l'état physique passablement dégradé qui était le sien,
Samedi 4 avril 2015
Hier, journée réussie avec Jeannette. Malgré mon état limite, j'ai filé faire les courses à Carrefour avec Magali. Je suis resté assis. C'est Magali qui a fait les courses. Moi j'ai juste été au rayon "chocolats". En plus de quelques sachets d’œufs de Pâques, j'ai pris un gros œuf en chocolat pour Jeannette dans l'idée de la surprendre.
Réussi ! Quand je le lui ai offert, elle m'a regardé incrédule et m'a dit : "C'est pour moi ? " Puis elle m'a embrassé avec un réel plaisir; elle n'en revenait vraiment pas !
Touché ! C'est ce que je recherchais. Puis elle a dégusté le bol de fruits que je lui prépare chaque fois que je vais la voir avec un grand coup de Palermo et quelques œufs. J'avais dans l'idée qu'elle offre son gros œuf au personnel qui l'entoure et la soigne. j'en ai donc parlé avec la responsable de service qui l'a trouvée bonne. Elle est venue dans la chambre voir ce gros œuf. J'ai dit à Jeannette que son œuf était trop gros pour elle et qu'elle pouvait le partager avec ses aides-soignantes, que cela leur ferait sûrement plaisir. Elle a eu l'air de comprendre et a accepté. Comme c'était l'heure pour moi du départ, la responsable lui a dit : "Venez, Mme Caille, on va mettre votre œuf au frais, on le dégustera demain !" Elle était toute souriante. Je ne suis pas sûr qu'elle ait tout compris, mais sûrement un peu, car elle s'est levée au bord du lit, face à moi, a pris l’œuf et m'a dit : "Tu me dis au revoir ?" Je l'ai embrassée fort et elle aussi. Elle était rayonnante. Je lui ai dit : "A bientôt" et elle m'a répondu "Je t'attends". Puis avant de suivre son aide-soignante elle a ajouté, toujours avec un grand sourire en me regardant : "Sois sérieux !" Je n'en suis pas revenu !
Mon accompagnatrice m'a dit : "Après cela, vous ne me direz pas qu'elle ne vous a pas reconnu ! ". Elle, en tout cas, en semble persuadée.
Super journée
Jusque la fin, mon père aura gardé « toute sa tête » et une mémoire quasiment infaillible. Il est vrai qu’il la faisait beaucoup travailler en occupant ses longues heures de solitude à se repasser en boucle l’histoire de sa vie et à tenir ses cahiers d’écriture. Mais sa vie lui pesait tant dans les dernières années… Malgré les efforts de tous pour lui être agréable, il ne comprenait pas bien pourquoi il était encore là quand tant des siens, avaient déjà quitté ce monde souvent plus jeunes que lui. À quoi servait-il de vivre dans cet état, alors qu’il n’entendait plus, ne voyait presque plus et que ses jambes refusaient de le porter plus loin que quelques mètres ? C’était là une question qu’il se posait bien souvent à son réveil le matin. Combien de fois, nous a-t-il prédit sa mort… en vain ? « Je ne suis plus de ce monde » disait-il sans cesse, « Il est grand temps que ça se termine ! » Ce qui ne l’empêchait pas de continuer, pour autant, à commenter et à critiquer la politique française et ses représentants, à coup de « Mes pauvres enfants, vous n’êtes pas sortis de l’auberge ! »
Quelques semaines avant de mourir, il me demandait encore de me renseigner pour savoir ce qu’était devenue Laurence Desmarais !!! Il avait également pris contact depuis quelques années avec la mairie de Saint-Cyr et avec les actuels propriétaires de la maison de son enfance (Il y aura même, entre eux, quelques correspondances). Sur son mur, il aimait regarder les compositions de photos que nous avions confectionnées ensemble. Chacune d’entre elle était un pan de son histoire. C’était un homme qui avait acquis une très grande sagesse et avait, dans les dernières années de sa vie, gagné en tolérance et en compréhension de l’autre. Malgré cela et malgré mes demandes répétées en ce sens, il n’était jamais parvenu à se départir de la colère qui lui collait à la peau depuis les événements de 1940. Il se plaignait encore de nombreux cauchemars la nuit et ne parvenait, selon lui, toujours pas à trouver de réponses aux nombreuses questions qu’il n’avait cessé de se poser sur la finalité du destin qui fut le sien. Il ne comprenait pas pourquoi et comment il avait échappé si souvent à la mort quand tant d’autres n'y avaient pas échappé autour de lui : le fameux « pourquoi moi ? »
Mon père était très attentif aux autres et avait su nouer une relation particulière, pleine de tendresse avec le personnel soignant qu’il n’oubliait jamais de remercier ou de complimenter. Chaque aide-soignante et chaque infirmière avait avec lui, le doyen de l’Ehpad, une approche différente mais toutes l’appréciaient beaucoup et ont été très affectées par sa disparition. Certaines me disaient même l’avoir considéré comme leur grand-père. Je profite de cette occasion pour les remercier encore une fois de leur dévouement et pour la ronde qu’elles ont faite autour de son cercueil lors de ses funérailles. Cela m’a beaucoup touchée et je suis certaine que, de là où il est maintenant, mon père s’est senti ému par un tel hommage.
Quant à ses 'colocataires', mon père éprouvait une réelle empathie pour eux même si cela ne l’empêchait pas de grogner car, disait-il, ils « ne s’intéressent pas à grand-chose » et il ajoutait, frustré de ne rien pouvoir partager avec eux : « ils sont déjà morts mais ils ne le savent pas » !
A l'Ehpad Résidence Bataillé de Figeac
Jean, à l’image de son père, n’était pas croyant et n'imaginait ni ne souhaitait qu'il existe un Au-Delà. Peut-être est-ce aussi pour cela que la mort lui faisait un peu peur. Mais aussi parce que comme tout le monde, il redoutait de souffrir. Heureusement Michel a veillé à ce que ce ne soit pas le cas et il a eu la chance de mourir sans souffrance tout en restant conscient le plus longtemps possible.
Mais si mon père ne croyait en rien, pour ma part, je crois très fort en l’Au-Delà. Je pense que nous avons tous une mission ici-bas et que les choses sont rarement le fruit du hasard. Je veux croire, qu’aujourd’hui, mon papa a compris le sens de sa vie et que toutes ses questions ont trouvé des réponses. J’aime à l’imaginer heureux, entouré de toutes les personnes et de ses animaux qu’il a tant aimés ; des êtres que ni le cours de la vie ni les années écoulées ne sont jamais parvenues à lui faire oublier.
Je pense que rares sont ceux qui, comme lui, auront pu ou su garder une mémoire aussi vive de chacune des personnes qui ont traversées leur vie, même si ce ne fût que l’espace de quelques mois. En cela, comme en tant d’autres domaines, mon père, fut un homme remarquable.
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