Dédié à tous les prisonniers de guerre
Si je vous parle de la vie de Jean Caille, 103 ans et demi, même en résumé, on n’est pas couchés. Aussi je vais juste évoquer quelques aspects de la personne qu’il a été.
Ces neuf années passées en lien, à Bataillé, auront été pour moi une chance. J’avais coutume de dire que j’accompagnais mon père dans sa vieillesse mais j’ai vite compris que nous nous accompagnions réciproquement.
C’est un cadeau que de pouvoir s’aimer sans les enjeux de l’éducation et de l’autorité. S’aimer comme deux adultes qui n’essayent pas de changer l’autre. Il m’a montré les meilleurs aspects de l’homme qu’il était, il a poussé l’expression de la dignité à un fort niveau. L’injustice, son cheval de bataille, alimentait souvent nos conversations, sa curiosité incessante de l’autre l’a amené à des rencontres parfois étonnantes pour un très vieil homme.
Comme tous les humains extraordinaires il présentait des fragilités, des contradictions, des maladresses. Il défendait même, parfois, des idées très discutables.
Alors, me direz-vous, qu’avait-il d’extraordinaire ?
Il était mon papa…
C’est incroyable tout ce qu’il a été amené à vivre tout au long de ce siècle, tous les changements, toutes les crises, toutes les catastrophes que seuls les humains sont capables de produire.
S’il fallait résumer à l’extrême la vie de Jean, on pourrait dire qu’après sa naissance, l’évènement majeur en aura été la seconde guerre mondiale. Il n’aura jamais accepté qu’elle l’ait privé d’un destin qu’il imaginait formidable. A peine remis de l’échec de son projet de cyclisme professionnel, il a été, comme de nombreux Français, arraché à sa famille, à son milieu, pour partir à la guerre.
L’équilibre fragile construit pendant les 5 ans passés en Autriche comme prisonnier de guerre s’est volatilisé dès le retour.
Il fut un papa attentif pour moi, sécurisant et encourageant. Au moment où je suis entré dans sa vie, sa paternité était épanouie.
Mes deux frères ne pourront pas en dire autant, eux qui ce sont retrouvés avec un père déphasé, incapable de reprendre ses marques au sortir de la guerre et qui a fini par s’absenter.
Ces dernières années, Jean m’a souvent parlé de cette période qui le tracassait énormément, conscient qu’il n’avait pas été à la hauteur, animé par un désir de réparation qu’il n’a pas vraiment réussi à concrétiser.
Il avait un amour inconditionnel pour ses parents. Ces derniers mois il parlait régulièrement à sa mère. Chaque évocation de son père était emprunte d’un respect considérable et d’une confiance mutuelle. Pour avoir vécu des années de conflit et de rupture avec mes parents, j’étais fasciné par cet attachement qui semblait donner une grande force à Jean. Je crois qu’il m’a transmis cette force.
Quand il est arrivé à Bataillé, en 2008, il était persuadé qu’il disparaitrait rapidement. Tout est relatif ! Neuf ans quand même ! La maison de retraite cela n’était pas son truc. Il disait habituellement que c’était la moins mauvaise solution. Au fil du temps, il a tissé des relations avec une partie des soignants. Il recevait beaucoup mais donnait aussi. Parallèlement il perdait ses ressources et à chaque étape il s’adaptait, plus ou moins vite, plus ou moins bien, mais il s’adaptait… en toute conscience.
Là, je l’ai trouvé très fort, parfois admirable. Et il repartait pour une nouvelle phase. Et de nouveau il fallait accepter de nouvelles pertes.
Il trouvait beaucoup de ressources auprès des gens de Bataillé.
A la fin, il tombait, et il se relevait, blessé dans son corps mais aussi dans sa personne, tel un boxeur à moitié KO mais il se relevait…jusqu’au KO final.
C’est le corps qui perdait, alors que l’esprit grandissait et m’entrainait dans une ascension vers la vie. Sa fin de vie aura été un courant ascendant qu’il m’a permis d’emprunter pour m’élever à mon tour. Je ne suis pas certain de l’avoir assez remercié ou qu’il ait entendu le cadeau immense qu’il me faisait, trop préoccupé qu’il était par l’idée de ne pas encombrer la vie des autres et la mienne.
Je suis aujourd’hui persuadé qu’un homme peut se construire jusqu’à la fin de sa vie. Papa, tu me l’as montré. Au-delà de toute considération philosophique ou religieuse, tu as été, tu es et tu resteras pour moi un HOMME DEBOUT.
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